Une
odeur de bière...c'est la première sensation olfactive que l'on
découvrit en posant le pied sur le sol de notre nouveau monde. On
tâtonnait dans un environnement froid, obscur ; on se
bousculait sans bruit hormis les excuses de circonstance. En
progressant sur ce sol irrégulier mais sans aspérités, nous
soulevions une légère poussière aux relents de terre froide et de
sable humide qui remontait vers nos vibrisses.
Puis,
ce fut...le silence....cette ambiance tapie au fond d'un
environnement dénué de sons, à la limite du supportable qui nous
enveloppait par instants et où se raccrochaient quelques couinements
jetés au hasard de nos pas mal assurés.
Il
y avait quelque chose de menaçant dans ce trop grand silence.
A
mesure que nous avançions, nous sentions l'atmosphère se
réchauffer. La lumière était au bout de ce long couloir. Nous la
vîmes, nous la sentions par réflexion...c'était une lueur vive,
bienfaitrice qu'accompagnait un air chaud, piquant et sec. De chaque
côté nous distinguions de hautes jarres scellées par un bouchon
fait de paille et d'argile. Sur leur ventre, des idéogrammes y
étaient apposés....difficiles à décrypter sans connaître.
Aveuglés
par le soleil au sortir de la pénombre, nous avons eu le temps de
planter le décor, un décor fait de palmiers, de maisons basses, au
toit balcon, blanchies à la chaux, entourées de roseaux et de dunes
de sable. Au détour d'une rue, nous sommes tombés sur un atelier en
plein air. Notre tenue, anachronique, avait fait sensation auprès
d'une dizaine d'ouvriers, torse nu, à genoux sur de grandes pierres
plates en plein travail de broyage. A côté d'eux, des paniers en
osier étaient remplis de froment, d'herbes diverses et de sucre de
dattes.
A
proximité d'un four archaïque, un homme se tenait debout vêtu d'un
pagne versant des pâtons frais dans des moules brûlants, prêt à
en faire dorer la croûte.
Plus
loin, on entendait des cris d'enfants, près du fleuve.
-le
Nil ?... avança le jeune Wotan .
-Exact,
Wotan....nous sommes en Egypte....mais à quelle époque...çà...je
l'ignore...il faudrait que ma vision s'élargisse, alors
...avançons ! dit Richard.
Le
terrain était plat, pavé de grandes dalles crayeuses. Au bout, le
fleuve avec la rive et un grand ponton où étaient amarrées
quelques felouques. Nous remontâmes discrètement vers le nord en
suivant une dune en surplomb du fleuve pour finalement nous arrêter
près d'un mur en ruines. Trente mètres plus bas, le plateau de
Giseh....sans les pyramides !
Le
moment de surprise passé, Richard nous affranchit....
-Mes
amis....en tablant sur l'histoire et l'archéologie de l'Egypte, la
première pyramide aurait été érigée entre les années 2500 et
2200 avant Jésus-Christ. L'époque où nous sommes ?!....(il
marqua une pause)....pour tout dire....je l'ignore.
Il
continua sur sa lancée...
-maintenant...d'éminents
archéologues après déchiffrage de hiéroglyphes ou d'anciens
papyrus, ont prétendu que le Sphinx fut le premier monument à être
construit.....et...
A
peine avait-il fini sa phrase qu'une forme gigantesque remplit
l'espace, masquant le soleil et le ciel sur plus d'un kilomètre...Le
vaisseau glissa le long du désert et s'arrêta net à trois cent
mètres du sol. Il resta ainsi quelques secondes. Puis, un faisceau
de lumière translucide et bleuté descendit du centre du vaisseau,
formant un couloir ascensionnel jusqu'à terre pour y déposer
d'énormes blocs de pierre à peine dégrossis. Le déchargement
effectué, il s'éleva et disparut vers le désert à la vitesse de
l'éclair.
Tapis
derrière notre abri de fortune, le temps pour nous de respirer à
nouveau et nous eûmes droit à une autre surprise... l'arrivée d'un
char finement décoré tiré par deux chevaux blancs et suivi par
trois autres chars plus communs remplis de soldats armés d'arcs et
de glaives .
Du
premier descendit un homme de taille moyenne au visage régulier,
d'une noblesse certaine. Il était vêtu d'un pagne finement orné de
motifs dorés. Il était coiffé du némès à tête de cobra. Il
arborait une barbe symbolisant la toute puissance d'un pharaon. Le
second personnage était plus énigmatique, très éloigné de la
représentation que l'on pouvait se faire de la race humaine. Sa
taille surprenait..plus de huit pieds de haut, il semblait de
constitution fragile tant ses membres supérieurs et inférieurs
étaient démesurés et d'une extrême maigreur. Sa tête était
longue, ovoïde, proéminente vers l'arrière, une face d'où
ressortaient deux gros yeux noirs et globuleux qui se mouvaient tel
un obturateur photographique. Il avait la peau comme le reste de son
corps... gris souris, deux orifices en guise de nez qui humaient
l'air en permanence et une fente sans lèvres en guise de bouche. Il
se déplaçait avec difficulté et semblait souffrir de la chaleur.
Il désigna d'une main à quatre métacarpes onychopathes le
monticule de blocs laissés par le premier voyage puis, d'un geste en
éventail, il balaya l'espace, soulevant un bloc plus important qu'il
déposa sur un terrain plat , loin des autres.
Entre-temps,
l'énorme vaisseau était revenu, masquant une nouvelle fois le
soleil, avec un second chargement mais pas seulement. Du couloir
ascensionnel glissa un engin ressemblant à un char circulaire
métallique dans lequel deux visiteurs étaient à priori assis. L'un
d'eux ressemblait à l'alien...même morphologie. L'autre aurait pu
passer pour un humain de la Terre mais un humain extra large, un
véritable colosse car il devait mesurer plus de huit pieds, sans
parler d'une abondante chevelure blonde qui retombait sur des épaules
impressionnantes.
-Il
me semble.....s'écria Richard puis il se ravisa....non !.....c'est
impossible !.....
-Quoi ?....interrogea
Mai
-Rien
chérie....la chaleur m'indispose...j'ai des
hallucinations...conclut-il.
Le
spectacle était plus bas...
Le
chariot en lévitation resta un moment suspendu puis il s’éleva
au-dessus du site. Tout le groupe demeura coi devant ce décor
surréaliste et futuriste. Ce qui se passait devant leurs yeux était
incontestablement inouï.
Soudain,
de l'avant de la plate-forme volante, un faisceau bleu sortit d'un
rostre métallique et enveloppa le plus important des blocs resté à
l'écart qu'il scanna verticalement à plusieurs reprises, effectuant
une taille nette aux arêtes à la fois douces et vives suivant un
modèle bien spécifique, celui d'un Sphinx sans âge et éternel.
-Mes
amis...s'exclama Richard....je sais à quelle époque nous nous
trouvons....c'est le Sphinx qui m'a montré la voie...nous sommes
sous le règle du pharaon Khéphren ou Khâef-Ré si vous
préférez....le Sphinx a été taillé à son image...durant le
vingt cinquième millénaire avant Jésus-Christ sous la quatrième
dynastie....Par contre, je croyais voir érigée en premier la
pyramide de Khéops....or, c'est celle de Khéphren... bah...
Soudain,
en balayant l'air pour accompagner sa mise au point, sa main poussa
par inadvertance un pan du mur qui s'effondra, entraînant une coulée
de pierres qui dévalèrent la pente en direction du premier char.
Surpris,
le pharaon fit un pas de côté et son regard en chercha l'origine.
Pour la déconfiture du groupe, il les vit, cria en direction des
soldats qui s'élancèrent vers les fauteurs de trouble....
-Il
est temps de tirer notre révérence ! vite ! Retour à la
case départ !....allez...allez !!! s'écria Richard.
C'était
une course contre la montre...compte tenu des difficultés qu'ils
auraient à surmonter s'ils étaient appréhendés...perdus dans ce
siècle antique... sans parler de la barrière de la langue.
La
distance diminuait entre la soldatesque et le groupe. Wotan avait du
mal à suivre dans le sable et Moon avait, dans la précipitation,
perdu du temps à rechercher son bracelet que lui avait offert Chris
en Thaïlande.....si bien qu'ils furent bientôt entourés par une
escouade d'hommes armés peu sympathiques enclins à tailler d'abord
et parlementer ensuite....
qu'allait-il
advenir d'eux ? chacun se regarda, n'osant imaginer ce qui
allait suivre.....aléa jacta est !